Aiguisons notre sens critique : les fondations privées au Québec constituent-elles un modèle durable?
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Les fondations privées, avec près de 950 entités recensées en 2022 au Québec1, occupent une place de plus en plus importante dans le paysage philanthropique. Leur fonctionnement et leur impact soulèvent néanmoins des questions cruciales : leur modèle est-il réellement durable? Quel est leur coût réel pour la société québécoise?
Durabilité : un équilibre délicat entre précaution et impact social
Les fondations privées sont conçues pour générer un impact à long terme tout en préservant leur capital initial. Cependant, nous observons que le modèle traditionnel est en pleine mutation :
Une nouvelle obligation légale augmente le contingent de versements de 3,5 % à 5 % pour les fondations dont les actifs dépassent 1 million de dollars2, ce qui implique qu'un minimum de 95 % de leurs fonds sont alloués à la préservation de leur capital. Autrement dit, les contribuables québécois seraient plus charitables que les fondations elles-mêmes...
La préservation du capital semble parfois primer sur l’impact social immédiat;
Grâce aux rendements financiers, les actifs des fondations continuent de croître malgré leurs dons.
Si le principe de précaution est une composante essentielle de la durabilité, il ne devrait pas constituer un frein à l’obtention de résultats concrets. Le maintien d’un équilibre entre préservation et action est nécessaire pour maximiser le progrès social.
«Autrement dit, si un organisme se limite à redistribuer 5 % de ses ressources pour préserver son capital à perpétuité, il ne peut prétendre être véritablement charitable.»
— Brigitte Alepin, Fiscaliste, professeure et auteure
Coût fiscal et questions d’éthique
Bien que des progrès favorisent une distribution plus généreuse des ressources, des questions persistent quant au coût fiscal et au rôle complémentaire des fondations à celui de l'État dans le financement du bien public :
Jusqu’à 50-54 % des sommes versées sont créditées sous forme d’avantages fiscaux;
Les fondations jouissent d’une exonération fiscale perpétuelle sur leurs revenus;
Ces structures ont un coût significatif pour les finances publiques.
L'utilisation des fondations comme outils d'optimisation fiscale soulève des questions éthiques sur les motivations réelles justifiant la création de ces structures. Pour certain·es expert·es, leur objectif principal semble souvent être la préservation du capital, au détriment d’un engagement réel envers des causes sociales significatives.
Malgré les critiques, certaines fondations adoptent une approche plus proactive. La Fondation familiale Trottier, par exemple, donne bien au-delà du minimum requis. En effet, la Fondation a pris un engagement majeur envers l'environnement et la lutte contre les changements climatiques. Elle a annoncé son intention de verser 150 millions de dollars d'ici 2030 pour lutter contre la crise climatique, acceptant même de voir sa dotation diminuer afin de mieux soutenir les initiatives et les organismes de bienfaisance canadiens qui travaillent sur la transition vers la carboneutralité. Cet engagement s'inscrit dans une action conjointe de neuf fondations et familles canadiennes, totalisant 405 millions de dollars, ce qui représente la plus importante contribution philanthropique pour le climat de l'histoire du Canada3. Cette approche proactive démontre un engagement durable envers l'environnement, allant bien au-delà des exigences minimales et établissant un exemple pour d'autres fondations philanthropiques.
Une opportunité pour les gestionnaires d'OBNL de repenser l’impact et la collaboration
En tant que partenaires potentiels des fondations, les gestionnaires d’OBNL et d’entreprise peuvent tirer parti de cette réflexion pour repenser leurs pratiques, notamment en :
- continuant d'aiguiser leur sens critique pour maximiser consciemment leur impact;
- développant des relations stratégiques avec les fondations pour aligner leurs objectifs avec leur mission;
- s’interrogeant sur l’éthique des pratiques de financement pour renforcer la confiance avec leurs parties prenantes.
L’équipe d’OROKOM est toute désignée pour vous aider à prendre du recul et vous accompagner, autant dans ces réflexions critiques que dans la mise en place de stratégies durables. En aiguisant notre sens critique, nous pouvons tous et toutes contribuer à une philanthropie plus équitable et engagée.
Sources
Cet article a été rédigé par Daphné Gendron.