Codéveloppement : le jeu en vaut-il la chandelle?
Le développement professionnel est un processus continu qui va bien au-delà de la réalisation de nos tâches courantes. En effet, on peut se développer lorsqu’une nouvelle idée émerge, en collaborant sur un nouveau projet ou en faisant le point sur un défi récent. Parfois, on peut même se développer à travers des moments informels de partage entre collègues : la fameuse machine à café a beaucoup plus de vertus que d’offrir une boisson énergisante!
Même si ces circonstances contribuent à notre développement, elles demeurent aléatoires. Cela nous fait avancer, certes, mais qu’arriverait-il si on était capable de provoquer ces moments et même d’optimiser la réflexion avec nos pairs ? C’est, entres autres, le pari que prend le codéveloppement. Imaginé ici même au Québec par Adrien Payette et Claude Champagne, le codéveloppement est défini par les auteurs comme :
- […] une approche de formation qui mise sur le groupe et sur les interactions entre les participants pour favoriser l’atteinte de l’objectif fondamental : améliorer la pratique professionnelle.
Payette et Champagne, 1997
Pourquoi prendre un temps précieux pour «discuter»?
L’atelier de codéveloppement est bien plus qu’une discussion! Son objectif est d’expérimenter les principes fondamentaux décrits dans l’ouvrage Le Codéveloppement professionnel de Rodhain, Margarita, Denayer et Schacherer, soit de :
Partir de l'expérience plutôt que du savoir et tirer des enseignements de l'action;
Développer l'autonomie et la coopération grâce à une dynamique collective;
S'appuyer sur un groupe de pairs pour créer un espace privilégié de recul et de soutien.
Si l’exercice est mené à bien, les personnes pourront :
Acquérir une plus grande dextérité professionnelle;
Développer leur leadership personnel et au sein d'un groupe d'appartenance;
Bénéficier d'effets miroir et effectuer des sauts de conscience sur leur pratique;
Multiplier les perspectives de penser et d'agir sur leur réalité et, à partir de là,
Ouvrir un espace de solutions large, diversifié et innovant tout en trouvant un nouveau souffle dans des périodes de turbulence organisationnelle (Ibid, p.21).
Ces avantages répondent au besoin d’avoir des ressources qualifiées et mobilisées au sein de son organisation.
Les 5 étapes d'une séance de codéveloppement
Cette méthode de formation permet donc de provoquer et d’encadrer la coréflexion pour des groupes de 5 à 8 personnes (Sabourin et Lefebvre 2021, p.23). Ces personnes peuvent être issues :
d’une équipe de travail pour faciliter la transmission des savoirs et la collaboration internes;
d’organisations variées occupant le même poste pour stimuler les apprentissages;
d’horizons sectoriels, culturels et expérientiels variés pour stimuler l’innovation.
1. Présentation de la situation
Chaque personne présentera une situation, passée, actuelle ou encore un défi anticipé. L’une des situations est sélectionnée au vote. La personne dont la situation a été sélectionnée par le groupe devient la cliente ou « porteuse de défi ». Les autres membres du groupe jouent un rôle conseil. Alors que la porteuse de défi présente sa situation en la mettant en contexte et en précisant les aspects importants, les conseillers et conseillères gardent le silence. Cette étape se termine quand la porteuse de défi a le sentiment d’avoir transmis toute l’information pertinente.
2. Questions de précision
C’est alors que les conseillers et conseillères entrent en scène. Leur seul objectif à cette étape-ci est de préciser la situation, donc seules les questions sont bienvenues. Ce peut être, par exemple, pour connaître des définitions, les parties prenantes, les méthodes essayées auparavant et les résultats obtenus. Cette étape se termine lorsque les conseillers et conseillères ont le sentiment de bien comprendre la situation de la porteuse de défi.
3. Précision et validation de la demande
L’objet du co-développement doit être assez précis pour être adressé au cours de la séance. C’est pourquoi la porteuse de défi est alors invitée à préciser sa demande. Cette étape se termine lorsqu’elle a formulé clairement son attente envers les conseillers et conseillères.
4. Présentation des ressentis, suggestions et proposition
Les personnes ayant le rôle de conseiller et de conseillère partagent alors leur point de vue, opinions, outils, expériences, méthodes, etc. Tout élément qui leur semble pertinent pour aider la porteuse de défi. Ici, la personne porteuse de défi est en mode « écoute ». Elle peut poser des questions de précisions, mais sans plus. Cette étape prend fin lorsque l’équipe a le sentiment d’avoir fait le tour, ou que le temps dédié arrive à sa fin.
5. Synthèse des pistes de solutions retenues
Pour conclure, la personne porteuse de défi partage au reste du groupe les éléments qui l’ont interpelée, qui font du sens pour elle et dont elle compte s’inspirer pour relever le défi qu’elle porte.
Les conditions de succès à réunir
Pour qu’un atelier de codéveloppement soit vraiment un succès, il faut s’assurer de :
respecter les tours de parole;
respecter la teneur des discussions pour chaque étape (ex. : question vs suggestion);
respecter le temps, par étape et au total;
protéger l’espace de sécurité psychologique.
C’est pourquoi un troisième rôle est essentiel au bon fonctionnement d’une séance de codéveloppement : la facilitation. Une personne externe au groupe se charge de l’animation. Grâce à sa maîtrise du processus, elle s’assure avec subtilité et influence que les participants et participantes tirent le maximum de bénéfices de chaque séance.
Est-ce que le codéveloppement est fait pour mon organisation?
Le codéveloppement a l’avantage d’être une pratique simple et accessible qui n'exige ni équipement, ni préparation exhaustive, ni démarches complexes (Ibid, p.21). Une rencontre a une durée maximale de deux heures et peut être répétée à la fréquence désirée.
Le principal investissement réside dans le rôle de facilitateur ou de facilitatrice afin de compter sur une personne compétente, engagée et ayant le souci de la qualité. Cette personne permettra ainsi de faire en sorte que l’intelligence collective bénéficie à tous et à toutes. En effet, le partage des connaissances, des informations et des réflexions est un facteur clé dans la réalisation de soi et des projets des organisations.
Pour conclure sur cette idée, les propos de Rodhain, Margarita, Denayer et Schacherer illustrent bien la force de l’intelligence collective :
«Ce n'est pas parce que 10 personnes peuvent construire 10 maisons qu'une personne peut construire une maison.»
— Rodhain, Margarita, Denayer et Schacherer
Cet article a été rédigé par Philippe-Laurent Lacroix.